Le Lean Management et les sapins de Noel.

Tous les opérateurs d’un département de production ou encore les employés d’un centre d’appel vous le diront. Après le passage du consultant qui a implanté la démarche Lean dans leur organisation, il n’y a plus un mur, un rapport qu’ils peuvent regarder sans mettre de lunettes de soleil tant les trois couleurs de prédilection du Lean s’étalent et agressent les yeux. Rouge, jaune et vert partout, à coté, devant ou derrière des chiffres et des graphiques. Un management soit disant visuel qui peut parfois dérouter. Le rapport hebdo, le brief du matin, la synthèse mensuelle, une gestion de la performance millimétrée encadrée par des feux tricolores. Alors effectivement, ça met de la couleur dans les services mais tous ces sapins de Noel illuminés toute l’année ont-ils réellement un impact sur la performance de l’organisation ?

Rétroviseur et ligne blanche.

Avez-vous déjà essayé de conduire votre voiture en ne regardant que votre rétroviseur et son alignement avec la ligne blanche ? Sachez que c’est tout à fait possible à coup de corrections rapides et répétées de la trajectoire définie par votre capacité à conserver la ligne blanche au centre de votre rétro. Je ne vous invite pas à le faire mais sachez que c’est peut être ce que vous faites déjà si vous aussi bénéficiez d’un rapport quotidien, hebdo, mensuel aux couleurs d’un sapin de Noel.

Management tricolore et satisfaction du chef

Lundi matin, le taux de satisfaction client est de 91%, couleur jaune. Rapport en main, vous ne manquez pas de sermonner votre équipe sur ce résultat médiocre la cible étant à 95%. Mardi matin 88%, on passe en rouge, vous vous demandez si vous n’y avez pas été un peu fort hier. Vous pesez vos mots mais rappelez fermement l’importance de tenir l’objectif. Mercredi 93%, on allume le jaune. Vous ne manquez pas de noter l’amélioration depuis hier mais insistez sur l’atteinte de l’objectif. Bingo jeudi matin avec 96%, le premier vert de la semaine, bravo tout le monde, continuez comme cela. Vendredi on repasse en jaune avec un 92%.

Et si vous ne serviez à rien ? Ou plutôt que vous vous agitez tout seul tous les matins, que vous faite perdre 15 minutes à votre équipe tous les jours et que tout le monde vous regarde en se demandant bien à quoi votre comportement rime vraiment. « Faire plaisir au chef » c’est le jeu dans lequel vous essayez de faire entrer votre organisation.

Système stable, variations et spc.

Je ne suis pas un fan de statistiques mais j’ai réussi à comprendre quelques bases qui peuvent ici nous aider. Considérez simplement votre organisation comme un système stable soumis aux variables qui le stimulent quotidiennement (les clients, les commandes, les fournisseurs…). Cette année, vous avez fixé un objectif de 95% de satisfaction parce que la moyenne de l’année dernière était de 93%. A l’aide de votre rapport quotidien et de vos feux tricolores, je vous prédis une année ou votre service pourra tout simplement se passer de vous.

Pourquoi ? Et bien simplement parce que votre système ou organisation sera victime toute l’année de ces « causes communes » de perturbation qui inévitablement le fera osciller au dessus et au dessous de la moyenne de 93%. Comprenez que vous n’y pourrez rien, ne contrôlez rien et n’influencerez rien. Peut être cette année votre système va évoluer vers 94% même 95% mais de là à penser que c’est grâce à votre management, ne rêvez pas. Les systèmes stables évoluent au gré de la variation naturelle des variables d’entrée qui les stimulent et vous n’y pouvez rien, c’est comme ça…

Supprimer les managers ?

Mais alors à quoi bon mettre des managers alors ? Et bien tout d’abord pour compiler les rapports et colorier les cases, remplir les tableaux et s’agiter tous les matins devant leurs employés. Ensuite parce que les systèmes stables peuvent progresser plus rapidement que l’évolution naturelle de leurs variables d’entrée. Le manager peut effectivement apporter de la valeur à l’organisation (ouf ! auriez vous eu peur?) mais il leur faut pour cela arrêter de vouloir maîtriser les causes communes qu’ils ne pourront jamais contrôler et commencer à travailler sur les « causes spéciales ».

Ceux qui connaissent un peu les stats voient certainement ou je veux amener nos managers qui ont failli perdre leur poste. Les causes spéciales sont simplement ces résultats catastrophiques que l’on enregistre de temps en temps. Le gros crash, la remontée de bretelle, la crise de nerf… C’est ce 63% que vous avez enregistré une fois ce mois ci qui vous à amené à finir à 22h le lendemain. Mais déjà le sur lendemain à 8h, vous congratuliez tout le monde pour avoir redressé si rapidement la barre avec un 79% qui en temps normal vous paraitrait catastrophique. Pas le temps de s’arrêter pour autant, les couleurs continuent de clignoter tous les matins et il faut piloter ce rétroviseur récalcitrant.

Malheureusement vous venez de rater l’opportunité en tant que manager d’apporter de la valeur à votre organisation en traitant le problème à l’origine de cette cause spéciale. Celle qui sort des limites de contrôle de votre système dit stable, celle qui descend en dessous de 3 sigma sous la moyenne, celle qui permettrait à votre système de s’améliorer puisqu’elle peut être éliminée car elle n’est pas « normale ». Au lieu de cela, vous allez perdre votre temps à gesticuler autour de ce qui rentre sous les 3 sigma sous la moyenne et qu’on appelle une cause normale.

Regarder devant pour ne pas être malade en voiture.

Mais à quoi sert le manager s’il n’est là que pour résoudre les problèmes à l’origine de ces causes spéciales ? Il existe en effet un rôle important dans un système Lean qui doit être endossé par les managers, les pilotes, les chefs d’équipe. Ce rôle consiste tout d’abord à arrêter de scruter le rétro pour savoir si le chef est content et de prendre le rôle de chauffeur, de pilote au sens propre. En regardant devant, le manager va pouvoir anticiper au lieu de réagir.

Comment il va faire cela me direz vous? Simplement en regardant les tendances de progrès, en apprenant à les détecter, les comprendre, les analyser afin d’anticiper. En langage statistique il existe des règles très claires et formalisées de détection de ces tendances (3 points de suite au dessus ou en dessous de la moyenne, 3 points de suite en progression…) Je ne suis pas là pour vous donner les règles de détection de votre système mais pour mettre en évidence l’importance de votre rôle comme pilote à détecter ces tendances de manière à anticiper et guider votre équipe.

Vous apporterez plus de valeur à essayer de comprendre pourquoi depuis 4 jours vous êtes sous la moyenne et chercher les éléments des 4 derniers jours en commun amenant cette situation qu’à essayer de comprendre pourquoi ce matin spécifiquement on est 5 points sous la cible du chef !

Les sapins de Noel japonais

Bien que je ne sois jamais allé fêter Noel là bas, j’ai compris comment sans sapin de Noel ils sont quand même en mesure de piloter sans trop regarder dans les rétroviseurs. Certaines organisations dites Lean utilisent 3 symboles très clairs : une croix, un triangle et un rond. Souvent la croix est rouge, le triangle jaune et le rond vert d’où peut être notre erreur d’interprétation :

  • Le rond vert : La situation est stable et sous contrôle. On est à l’objectif.
  • Le triangle jaune : La situation est sous contrôle, on n’est pas à l’objectif mais nous anticipons y revenir prochainement. Nous avons identifié et pris les actions.
  • La croix rouge : La situation n’est pas stable ni sous contrôle, on est à l’objectif mais pas pour longtemps ou bien nous n’y sommes pas et on n’est pas prêt d’y être. Besoin d’aide !

Malheureusement dans beaucoup d’organisation dites Lean nous n’avons pris que les couleurs et pas ce qui va avec. On y a d’ailleurs ajouté les bonhommes sourire et les pas contents. Nous avons laissé de coté ce qui fait la valeur du manager et du management Lean, nous avons raté l’essentiel mais ça ne se voit pas sous toutes ces couleurs n’est ce pas ?

source .leandigestion.fr

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