Afrique : sécurité et développement sont indissociables pour faire fructifier ce grand marché

Certes, « le secteur privé se mobilise pour l’Afrique » - titre des débats organisés le 9 décembre à Paris par le Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian) et la Maison de l’Afrique - mais le secteur privé est aussi sensible à la sécurité sur le terrain. Sans sécurité, l’engouement des multinationales comme des PME pour une Afrique en voie d’émergence, caractérisée par une poussée des classes émergentes, pourrait retomber.


Président délégué du Cian, Étienne Giros se montrait optimiste en ouvrant les débats. Prenant l’exemple de « la botte sahélienne », il se déclarait ainsi « persuadé » que le terrorisme y serait vaincu. Mais, nuançant son optimisme, « à quel horizon ? », s’interrogeait-il. Une prudence qui s’explique par le fait que maintenir la paix dans un pays, et à fortiori la restaurer dans des zones de conflit, ne peut se faire sans des forces armées performantes.

Les institutions internationales doivent financer les dépenses militaires

Comme les gouvernements africains disposent de moyens limités, « il faut mutualiser » les dépenses militaires, selon Serge Michaïlof, chercheur à l’Iris (Institut des relations internationales et stratégiques), qui a calculé qu’une brigade bien formée reviendrait à 12 à 15 millions de dollars par an. Un coût modeste pour lui, si l’on compare aux 30 milliards d’euros déversés dans le 11e Fonds européen de développement (Fed). Mais « le problème, déplore l’ancien directeur à la Banque mondiale et à l’Agence française de développement (AFD), c’est que les organisations internationales ne sont pas habilitées à financer les dépenses militaires » et, quant aux bailleurs bilatéraux, « ils ne disposent pas de suffisamment de fonds pour le faire ».Il est donc temps que les institutions internationales changent leur fusil d'épaule. D’autant que les dépenses militaires sont déjà un fardeau très lourd, ce qui va entamer les efforts consentis dans les domaines sociaux – santé, éducation- le développement rural ou les routes. Au Niger, par exemple, elles représentent 4 % du produit intérieur brut (PIB) du Niger, soit deux fois le ratio classique. Par ailleurs, faute de stabilité au Sahel, estimait Serge Michaïlof, l’instabilité pourrait « s’étendre aux pays côtiers, aujourd’hui en fort développement », alors qu’il y a déjà de grandes fragilités en Afrique. A la pratique aléatoire de la démocratie, aux relations difficiles entre les ethnies ou aux oppositions politiques, s’ajoutent aujourd’hui « les migrations en masse, dont l’Europe récupérera une partie si rien n’est fait », a soutenu Serge Michaïlof. De façon plus générale, il estimait qu’il faut aider les États africains à se doter « de systèmes régaliens », ce qui est possible. « On sait faire, a-t-il affirmé. Il y a des sociétés spécialisées », mais, a-t-il répété « il faut des ressources pour cela »

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Quatre grands défis : sécurité alimentaire, formation, eau, électricité

Faute de cet « encadrement régalien », des « pouvoirs de type mafieux » s’imposent, se nourrissant du trafic de cigarettes, de cocaïne ou de migrants. Or, constatait encore le chercheur de l’Iris, « ce sont 250 000 jeunes qui arrivent tous les ans sur le marché ». D’où l’importance de la formation et de l’emploi. Tout comme de l'entrepreneuriat. « Il y a des comportements de captation rentiers sur les marchés publics comme les importations », regrettait Pierre Jacquemot, président du Gret, ONG française qui lutte contre la pauvreté et les inégalités.


Le développement est également une question de sécurité alimentaire - 25 % des enfants en Afrique sont malnutris – et d’approvisionnement en eau et en électricité. Au Sahel, a précisé Serge Michaïlov, « en raison des traditions locales, la démographie est toujours forte et il y a à la fois une surpopulation agricole, une stagnation de l’agriculture et un accès très réduit à l’eau potable et à l’électricité ». En milieu rural en particulier, le réseau électrique n’est pas assez étendu et les compétences humaines (pour le fonctionnement des équipements, le recouvrement des factures…) sont défaillantes, ce qui oblige à prévoir des filières de formation de type CAP. « C’est ainsi que l’on s’est rendu compte que l’on avait les mêmes besoins que dans d’autres secteurs, comme l’agriculture », a indiqué Christine Heuraux (notre photo), responsable à la direction Innovation, stratégie et programmation d’EDF.

Le grand barrage d’Inga, « éléphant blanc » ?

En République démocratique du Congo (RDC), moins de 9 % de la population sont approvisionnés en électricité, alors que « l’on parle du grand barrage d’Inga, d’une capacité potentielle de 40 000 mégawatts, depuis plus de 50 ans », rapportait la responsable chez EDF. Inga n’est pas jusqu’à présent parvenu à franchir les obstacles. Déjà son coût est élevé, l’unité de base étant de un milliard d’euros et la durée de l’investissement étant de dix ans pour un barrage. Ce sont, d’ailleurs, deux grands pays qui concentrent aujourd’hui 60 % de la production électrique du continent : Afrique du Sud (32 %) et Égypte(28 %). Ensuite, ce projet ayant forcément une vocation régionale compte tenu de son importance, « il faut créer des interconnexions, passer des contrats d’achat, développer une vision partagée, afficher une volonté politique régionale », a soutenu Christine Heuraux. Ce qui n’est pas encore le cas.

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